Sur le nexus autogestionnaire
par Crabouibouif
août 2020
Les propositions qui suivent s’inscrivent dans une réflexion au long cours et il est possible qu’il existe ou qu’il a existé des exemples qui s’en rapprochent. Si l’autogestion induit une tendance au « réseautage », il est paradoxalement courant qu’elle se ferme sur elle-même au sein de sphères militantes éparses, la rendant exclusive. Si nous souhaitons ouvrir l’échange entre sphères militantes mettant en pratique l’autogestion, nous désirons aussi élargir leurs actions et leurs travaux à un public plus « ordinaire » opposé à la pratique actuelle de la politique. De plus en plus de personnes se montrent prêtes à sortir de leur confort et à s’investir pour l’écologie, la lutte contre la précarité, les acquis sociaux, les conditions de travail, etc – autant de sujets liés à l’autogestion.
Il nous paraît ainsi bénéfique pour le mouvement libertaire de s’inscrire dans cette dynamique en développant et en proposant des méthodes d’autogestion adaptée à toutes et tous. La stratégie consiste en l’établissement d’un réseau qui a pour objectif de mettre en relation des cellules politiques, des individus, des militant·es et des coopératives selon une structure de communication collective et ouverte. Il a l’ambition d’être diversifié, étendu et facile d’accès. C’est pour cette raison qu’il doit être réceptif, ouvert et communicatif avec ses membres et les non-membres (accessibilité), adaptable aux situations insurrectionnelles, préparé au Dual Power et multipliant les collaborations (étendu), ouvert aux changements et démocratique en interne (diversifié).
Partant du fonctionnement des multiples réseaux fédératifs militant existant, nous avons choisi d’imaginer un modèle structurel de ce que l’on pourrait qualifier de Réseau Confédéral de l’Autogestion.
Nous diviserons cette réflexion en 2 parties : – la structure interne du réseau, comment les militant·es s’organisent entre eux/elles – la structure externe, comment le réseau est en contact avec les masses.
Un réseau de communication – La Structure interne du réseau, comment les militant·es s’organisent
Le réseau est autogéré par ses membres de manière confédérale et libertaire. Les collectifs gèrent à leur manière leur organisation interne et décident ensemble de comment ils comptent coopérer aux différents niveaux : national, régional, communal, ce qui implique de trouver un protocole de prise de décisions collectives qui prévienne la bureaucratisation.
On peut avancer quelques principes structurels du réseau : son étendu, sa diversité et son accessibilité. Tout d’abord, pour éviter l’entre soi, il semble nécessaire de créer collectivement des structures minimalistes, démocratiques, locales et nationales. Il faut que le réseau puisse construire des liens sincères avec les populations, diversifier ses activités et grandir en nombre. Le schéma ci-dessus présente plusieurs structures décentralisées, autogérées, locales et nationales.
Démocratiques et décentralisées : Le congrès rassemble tous les membres. Son but est de mettre sur la table les problèmes et leurs solutions. Tous les collectifs collaborent et construisent ensembles. La planification du congrès est normalement assurée par le ou la (ou les) secrétaire général et d’un (ou plusieurs) collectif membre.
Autogérées : Il n’existe pas de chef·fe, de président·e ou d’avant-garde éclairée mais des rôles utiles ou outils, nommé·es lors d’un congrès, non-rémunérés et occupés de façon rotative et démocratique. On peut envisager un·e secrétaire assurant la mise en pratique d’une activité et chargé.e de communiquer sur son déroulement. L’important est de mettre en place collectivement des organes de gestion permettant d’assurer aux collectifs une médiatisation, une communication rapide et une mise en commun périodique.
Locales et nationales : À travers les Comités de relations et de rédaction – nommé·es via le congrès – le réseau assure un contact avec le reste de la population. Par exemple, le Comité de rédaction est chargé de la mise en forme des revues, des tracts et de la communication générale, parfois en lien avec le secrétaire aux Éditions. Parallèlement les Ambassadeur·rices ont pour rôle est de faire connaître, dans une localité, les offres ou demandes de services ou les idées du réseau. Lié·e à un collectif, à une organisation, à une coopérative ou à un groupe du réseau, iel les aide ce à maintenir un lien avec la localité.
Toutes ces instances devront en grande partie répondre devant le congrès. C’est celui-ci (au sens des individus qu’il regroupe) qui nomme les membres (ou délégué·es, représentant·es) du réseau nomment : le Secrétaire aux Éditions, à la trésorerie, aux Relations extérieures et général et les comités de rédaction. Les autres instances, Comités de relations et Ambassadeur·rices etc., ne servent qu’à la communication et au lien militant·e-masse. C’est un schéma basique : des instances « de crise » peuvent se former avec pour objectif de coordonner des assemblées pour des problèmes plus ponctuels.
Plus un réseau est grand, plus il fait face à la tentation d’un renforcement administratif et sécuritaire, à restreindre sa propre expansion, ses méthodes de recrutement, son dynamisme et donc son accessibilité, à l’image de la Fédération Anarchiste. Pourtant plus un mouvement est grand, plus ses membres se sentent disposé·es à agir individuellement et collectivement. De même, plus il y a de militant·es et de postes temporaires et rotatifs, moins il est facile pour nos adversaires et la police de définir des cibles « responsables ». La force du mouvement anarchiste réside dans son absence de chef·fes, de leaders ou de prophètes. La mise en place d’un réseau coopératif et social ayant pour objectif l’entraide concrète et la construction d’espaces d’autogestion permet de s’ouvrir au plus grand nombre, sans que nous ayons à imposer notre vision de l’anarchie et de la liberté des travailleur·euses et des non-travailleur·euses.
Au-delà des militant·es – la structure externe, comment le réseau est en contact avec les masses.
Ainsi peut-on développer quelques bases d’un réseau en accord avec l’insurrectionnalisme. Le réseau est une force motrice : contrairement à un individu ou un collectif isolé qui tend au sectarisme, plus il est diversifié, plus il permet, à toute personne intéressée, de voir et agir plus loin. Les actions, idées et activités ralliées et fédérées ensembles ont plus de chance de mobiliser. Cela ne signifie pas que le réseau décide et demande mais plutôt qu’il propose et provoque diverses mobilisations. L’individu, s’iel est militant·e ou sympathisant·e, en quête d’offres spécifiques est invité à s’y joindre et à participer au processus de décisions.
Cette deuxième idée se heurte logiquement à un problème de moyens : le réseau, qui à ce stade pourrait être qualifié de hub (ethernet) à contacts autogérés, rencontre la problématique de la bureaucratisation. Comment provoquer et proposer s’il n’y a pas d’instances administratives ? Comment pouvons-nous faire cela sans local, effectifs ni ressources financières ? Comment assurer la communication avec les non-membres du réseau ?
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Les collectifs eux-mêmes sont vecteurs de solution pour le faire connaître et ils pourraient volontairement proposer des tracts, idées et activités. Sans locaux (et potentiellement sans effectifs), le réseau imprime des tracts et affiches, investi ainsi une somme, et peut faire appel à un système de cotisation fédéral.
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Les moyens de gestion de données numérique peuvent aider. Des délégué·es volontaires non-rémunéré·es seraient choisi démocratiquement dans chaque collectif pour gérer les affaires de documentation (définition des collectifs, de leurs activités…) et de représentation numérique (propagande, communication…) du réseau. Cette solution permet une dynamisation du réseau en lui assurant une visibilité sur le web.
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Le hub n’est pas une structure efficace. Il répète à chaque entrée – ici les collectifs – les mêmes informations, sans distinctions des individus interpellés. Les collectifs distribuent les mêmes tracts (s’il y en a), potentiellement servent à la coordination (on n’est jamais au courant à 100% des activités des autres, si les informations sont toujours d’actualité). Le réseau doit plutôt devenir un switch autogéré au plus possible. Cela implique de créer et de faire connaître des comités particuliers, liés non au réseau mais aux collectifs et aux masses : les collectifs planifient des évènements à petite échelle pour connaître les problématiques et demandes de la population locale et créer dans la durée des comités mixtes (militant·es et habitant·es). Pour atteindre l’idée d’un réseau plus apolitique et ouvert, ces comités envoient un·e ou plusieurs délégué·es à l’instance décisionnelle du réseau (de nature définie par les collectifs eux-mêmes) en plus des mandaté·es des collectifs affiliés. Ainsi, le réseau – donc tous les collectifs – reste au courant, au minimum, de l’état de ses entrées.
Pour que le réseau soit dynamique et adaptable il serait pertinent d’établir un système d’échange efficace dans les collectifs, un contrat clair et précis lorsqu’il s’agit de travaux défini et des fiches pour la participation à des évènements locaux.
Un principe simple qui aiderait l’échange de services et d’activités entre un collectif et un individu ou un collectif et un autre, est l’établissement des termes de « demandeur·euse » et de « donneur·euse ». Le but serait de se mettre dans une situation de demande et de proposition réciproque. Ainsi le collectif se met lui-même au service de la population et s’intégre à l’activité locale. En répertoriant les offres des donneurs·ses externes pour les diffuser.
Comment le·la donneur.se établi.e son contrat ? Le·la donneur·se doit avoir une marge de manœuvre maximum sur la réalisation du contrat, un minimum d’informations sont demandées telles que : le nom du service (qui sera normalisé pour faciliter la catégorisation), sa description, le type de contrat (libre ou rémunéré, termes définis par la suite), la localisation (par zone) et un contact (confidentiel au public ou non). Dans le but de limiter voire anticiper la transformation en bureaucratie du réseau nous préconisons trois types de contrats :
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Un contrat rémunéré qui fait l’objet d’un revenu monétaire. Ce type de contrat n’étant pas légal, il doit pour le moment être écarté.
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Un contrat libre qui permet aux donneur·euse/demandeur·euse d’établir eux-mêmes les termes de leur contrat. Les deux protagonistes pourront redéfinir les lignes du contrat préétablis.
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Un contrat bénévole peut faire l’objet d’une démarche initié par les membres direct d’un collectif ou des structures du réseau.
Conclusion
Ayant une structure interne basée principalement sur la communication de ses membres, le réseau n’agit pas en maître mais en outil. N’ayant pas d’instances de direction (à l’exception du congrès qui sert à s’informer et se coordonner), il n’aliène pas les collectifs qui le composent. Il s’ouvre à un public plus grand grâce à sa structure externe basé sur l’échange et le partage. Évidemment ouvert aux changements que pourraient demander les collectifs, un tel organisme est adaptable et reconstructible.
Basé sur des principes libertaires, le réseau agit en fonction de ses instances et permet de coordonner des actions de plus grand ampleur. Il peut, en cas d’obstacles, servir à créer des plans de solidarité, planifier des grèves en dehors des instances syndicales, faire de la formation politique, mener des campagnes de recrutement, organiser des évènements, aider matériellement ou économiquement à la création de nouvelles instances alternatives… Le tout dans le cadre de la lutte contre le capitalisme, le fascisme, le patriarcat et l’autoritarisme.
Enfin, il est important de souligner que l’objectif de ce type de réseau autogestionnaire est l’établissement d’un « Dual Power ». Il existe afin de créer un arsenal d’entraide et d’autogestion pour combattre le capitalisme. Cette structure confédérale permet de développer, sans l’imposer, l’esprit collectif et militant chez un public moins politisé.