Convaincre et mobiliser
par Crabouibouif
juillet 2020
Ce court article a pour objectif de faire suite à notre travail de recherche – réalisé pour le manifeste – Mobiliser et convaincre – grâce aux apports du document « L’Action militante à la fédération anarchiste ».
« Des générations d’hommes et de femmes ont tenté, tant bien que mal, d’émanciper leurs sociétés des jougs de l’oppression et de l’exploitation. L’égalité est vite devenue une idée-force qui a guidé leurs pas et leur action. Au cours de l’histoire s’est constitué, entre autres, le mouvement anarchiste sur des principes et des pratiques visant à la suppression de l’État et des classes économiques et sociales. »[1]
Nous avons beaucoup de chose en commun avec les principes de la Fédération Anarchiste. Il nous paraissait donc intéressant de mettre en valeur leur travail de synthèse sur le militantisme afin de le partager et en diffuser les acquis.
« La FA ne prétend pas se mettre à la tête des luttes sociales. Ses militant.e.s se battent pour l’autodétermination, l’auto-organisation des luttes par ceux et celles qui les mènent. Ils / elles luttent aussi contre toutes les formes de récupérations politiciennes. La FA est un ensemble de militant.e.s se regroupant pour développer des activités spécifiquement anarchistes, de la manière la plus efficace et la plus constructive possible.* » - Une partie de ce document nous introduit à la Fédération et à sa structure.
La Fédération relie et met à disposition plusieurs organes et outils militants comme le congrès annuel, les comités de relation, le secrétariat général, le Bulletin intérieur, les œuvres fédérales et les archives. Elle porte aussi de nombreuses luttes qui vont de l’abolition du patriarcat à la décroissance libertaire. Il existe une multitude d’instances, de contre-pouvoirs et d’alternatives, comme Le Monde Libertaire ou Radio Libertaire qui permettent la diffusion des idées, des motions prises tout en promouvant une autonomie libertaire en France.
Convaincre [2]
Mobiliser à écrire, manifester, débattre, protéger, attaquer, participer… Le processus de mobilisation construit des idées, des refuges, de la solidarité et déconstruit des carcans idéologiques comme le marxisme ou le capitalisme. Parmi les multiples théories de diffusion/mobilisation, nous pouvons retenir la recherche du mobile relatif et collectif. Le mobile apparaît aux individus comme un défi, une occasion, une raison, une peur ou une croyance. Ce mobile est particulier et unique pour chaque personne. Il l’amène à agir, à changer les choses dans sa vie mais aussi dans sa communauté.
L’engagement croissant et réfléchi de l’individu le conduit à s’investir auprès de celles et ceux qui l’écoutent et lui permette, sans dogmatisme, d’échanger sur ses problèmes et ses opinions. Si chacun·e cherche à agir d’abord par la motivation de ses motifs, c’est de cette façon que chacun·e intègre progressivement ceux des autres.
La force motrice qui se compose des personnes, des membres diversifiés de la communauté qui réagissent et qui décident d’agir ensemble3, est consciente que ses actions sont décuplées au profit d’un objectif commun (plus ou moins partagé[3]). […]
Il faut aussi rester conscient que tout le monde n’est pas « multi-luttes », militant·e aguerri·e prêt·e à se battre sur tous les fronts. C’est pour cela que nous devons faire un travail de synthèse en adaptant nos motifs sans les hiérarchiser.[4]
Enfin, une fois finalisé sur un sujet particulier, ce travail doit être diffusé auprès des individus : journaux, tracts, cours et formations suivant des méthodes fluides qui seront préétablies et modifiables. Sur ce point, il est nécessaire de s’attarder sur la recherche de méthodes pédagogiques individuelles et collectives modernes.[5],[6]
S’organiser pour mieux lutter
L’individu, s’il est convaincu de ses idées – par le biais d’une multitude de facteurs[7] – en vient à un moment à vouloir les expérimenter réellement : « Théoriquement, un·e militant·e doit pouvoir avoir – et donner – accès à une gamme diversifiée de ressources mises à disposition par le collectif – celui-ci ayant réussi à « convaincre » doit pouvoir offrir des opportunités, même minimes. »[8]
« Bien souvent, on trouve dans certaines villes des individus isolés. Nous envisagerons le cas d’un.e camarade désirant travailler à la propagande et à la création d’un groupe actif. Dans ce cas, on parle de liaison FA, c’est-à-dire un groupe en constitution. Néanmoins, un.e camarade peut faire le choix de rester adhérent.e à la FA par sympathie et soutien moral et financier. Mais son champ d’action en sera d’autant réduit. La première chose à faire est évidemment de se renseigner auprès des Relations intérieures (RI) des éventuel.le.s sympathisant.e.s, contacts, dans la zone géographique où l’on réside. Une fois mis en contact, il est plus facile d’envisager une action à plusieurs. »[9]
Le principe fédéral (subsidiaire) donne accès aux militant·es à du matériel, des tracts, des revues et des affiches. L’individu est en contact avec des instances qui répondent le plus possible à ses demandes. La FA incite à la constitution de collectifs et met en œuvre leur coopération. On suit un schéma structurel horizontal où la force, les décisions et les principales actions s’organisent depuis la base. Par leurs actions, on peut aussi dire que l’individu et les collectifs deviennent indirectement des outils de propagande pour le mouvement libertaire et la FA en particulier.[10]]
« D’une manière générale, il est de première importance de se tenir en étroite relation avec les RI de la FA. Il faut également donner régulièrement de ses nouvelles. À plus forte raison quand on entreprend une action. Ceci est d’ailleurs valable pour l’individu isolé comme pour le groupe. »
Cela nous questionne aussi sur la façon dont on peut garder ces groupes « en ébullition ». La fédération a mis en place un abonnement à un Bulletin intérieur et à une liste électronique qui permettent de garder le contact avec les camarades.
Sur l’individu, la FA nous apporte des exemples de comportements à suivre : prendre contact, agir en considération de nos dispositions personnelles, maintenir les relations, etc. La communication doit être continue. Le collectif ne doit oublier personne, ni en mettre de côté. La fédération est soumise aux agissements de groupes quasi-autonomes sur les plans politiques et directifs.
Il est incontestable que ce fonctionnement donne une efficacité importante en temps de crise : là où les individus sont mis à l’écart par les institutions dominantes, ils peuvent se rallier à des organisations locales, elles-mêmes liées à un réseau national, organisées et prêtes à se développer. Ensuite, les collectifs locaux sont les premiers à savoir quels sont les besoins prioritaires de leur secteur et comment régler ses problèmes.
La mobilisation visée par l’anarchisme ne se résume pas à la simple manifestation ponctuelle de forces collectives et individuelles. Nous voulons former une mobilisation permanente à travers l’établissement de zones, institutions et locaux alternatifs. C’est le principe du Dual Power, combattre le capitalisme et l’État[11]]. La plupart des activités qui pourraient le constituer existent déjà aujourd’hui : coopératives, comités, entreprises autogérées, réseaux de solidarités etc. Il faut donc se mobiliser majoritairement dans ces instances ou bien dans de nouvelles (puis organiser leur coopération).[12]]
Collectif et mobilisation
Le plus souvent un·e militant·e tend, selon la façon dont ses idées changent et sa posture évolue, à se rapprocher d’un collectif. Cela signifie aussi que tout groupe doit se poser le plus tôt possible des limites explicites de recrutement, de projets et d’action.
« Il est préférable, avant de déclarer un groupe, de bien se connaître les un.e.s les autres, de savoir qui est qui. Trop de groupes en formation ont eu à subir les assauts des entristes de tout poil, qu’ils / elles soient trotskistes, flics, voire fascistes… Il y a des exemples pour tous ces cas.
Donc, bien se connaître, se voir souvent, discuter avec les nouveaux.elles venu.e.s, ne les intégrer que le jour où l’on est sûr d’eux /elles et que eux / elles-mêmes sont sûrs de leurs idées, de leurs engagements et de vouloir adhérer au sein de ce groupe et de cette organisation. Et surtout ne pas négliger la formation théorique.
Puis vient le travail de propagande réalisé par les militant.e.s, qui ne sont pas de la main d’œuvre, mais des individus qui pourront analyser une situation, savoir défendre leurs idées et parallèlement coller leurs affiches, diffuser presse et brochures, etc.»[13]]
Un groupe peut – s’il y arrive et selon les conditions – grandir, se procurer un local, du matériel et d’autres éléments qui aident à la motivation collective et à son fonctionnement. Ces problèmatiques de recrutement et de développement de projets doivent être les lignes connues des collectifs : par exemple, quand nous nous disons anarchistes, cela a des répercussions (souvent négatives) lors du « premier contact ».
Parallèlement, des groupes fédérés et solidaires amènent une mobilisation plus grande, sur des sujets communs.
Pour ne pas rester isolé·e, il est vital de rassembler un réseau militant en capacité d’impulser des dynamiques collectives […] essayer d’y agréger les personnes qui se sentent concernées. Aussi ténu soit-il, ce réseau sera une ressource essentielle lors des mobilisations qui peuvent surgir – contre les violences policières, pour la défense d’un service public menacé. La grande difficulté sera alors d’initier des dynamiques collectives de la façon la plus autogestionnaire possible : sans accaparer la parole, ni la prise de décision.[14]][15]]
Notre combat est légitime. Quelques soit le temps que cela prendra, nous développerons une alternative libertaire. La Fédération Anarchiste existe depuis plus d’une cinquantaine d’années. Elle a une importance historique dans le mouvement libertaire français et nous ne pouvons-nous passer des enseignements et de ses expériences pour améliorer notre action militante.
Aujourd’hui, le travail des libertaires est essentiellement centré sur la mobilisation de forces préexistantes : ZAD, locaux antifascistes, librairies, manifestations, action directe, syndicalisme … Alors que nous tentons de démontrer notre caractère social et constructif, notre faible nombre de militant·es rend nos actions « inutiles » aux yeux de la majorité. Le nombre joue sur la légitimité des actions, nous devons accepter ce manque numérique tout en nous formant à l’autogestion économique, à l’organisation politique, à l’auto-défense et au confédéralisme.
Pourtant il fut un temps où l’anarchisme a mobilisé les masses. Travailler ce caractère émancipateur en parallèle de nos activités militantes – le diffuser localement et explicitement – permettrait de nous débarrasser de notre image utopique et chaotique. Il est possible qu’un grand nombre de localité ne nous permettent pas de le faire, mais ne somme nous pas pour la désobéissance populaire ? Et si nos forces ne sont pas assez nombreuses pour le sabotage, nous pouvons très bien détourner les institutions politiques dominantes au profit de la mobilisation.[16]]
Enfin, il est possible que les collectifs libertaires locaux, que ce soit en ville ou en campagne, ne soient jamais pris en compte et ne s’adaptent jamais. Les causes de ces échecs éventuels existent et nous devons les compenser en mettant en œuvre des formations politiques, de l’éducation populaire, des débats, de la mise en pratique pour favoriser la coopération des collectifs.
Notes et références
1) L’Action militante à la fédération anarchiste : https://www.federation-anarchiste.org/PROP/Action_militante_a_la_FA.pdf
2) Mobiliser et convaincre – Manifeste
3) L’objectif dépend de la structure de la force motrice : une organisation de masse lutte pour de grandes causes, le collectif lutte pour des droits, revendications plus personnelles.
4) Formulation très dirigiste, il faudrait préciser que l’objectif « final » (qui n’est pas non plus une fin en soi) n’est pas d’enrôler mais de comprendre, potentiellement aider et accueillir, construire et échanger avec le plus de monde possible.
5) On peut s’attarder sur le travail de Francisco Ferrer et sa pédagogie libertaire : http://www.socialisme-libertaire.fr/2016/05/pedagogie-libertaire.html
6) Éducation populaire : https://www.unioncommunistelibertaire.org/?Theorie-Qu-est-ce-que-l-education-populaire-au-juste-6479
7) Mobiliser et convaincre – Manifeste
8) Ibid.
9) L’Action militante à la fédération anarchiste : https://www.federation-anarchiste.org/PROP/Action_militante_a_la_FA.pdf
10) Ce qui peut rendre la fédération impopulaire dans certaine région de France si certains collectifs viennent à manquer d’organisation, de gestion etc.
11) Voir la partie théorique du manifeste
12) Mobiliser et convaincre
13) L’Action militante à la fédération anarchiste
14) Mobiliser et convaincre
15) Travailleurs sociaux : https://www.unioncommunistelibertaire.org/?Les-travailleurs-sociaux-entre
16) Mobiliser et convaincre