Pourquoi la réforme du congé parternité est primordiale si on souhaite déconstruire la société patriarcale
par le Collectif Collages Féministes Lyon
juillet 2020
Tout le monde peut devenir parent au cours de sa vie, peu importe son genre et son orientation sexuelle. Cependant l’article suivant concerne en très grande majorité les couples cisgenres hétérosexuels. Ce modèle de couple est celui qui s’approche le plus des attentes de la norme et se trouve donc être le plus sensible aux clichés de genre.
Dans notre société, le rôle du père est défini depuis longtemps. Au sein de la famille il est celui qui est tourné vers l’extérieur, vers la vie sociale. C’est lui parle de compétition sportive et de politique. C’est aussi la figure d’autorité, en contrepartie de l’image douce et aimante de la mère, incapable de se faire respecter sans la fameuse menace du « je le dirais à ton père quand il rentrera ». En psychologie, héritage de Freud, on expliquera que le père est là pour s’interposer entre la mère et l’enfant, pour imposer à l’enfant de vivre en dehors du foyer et pour rappeler à la mère qu’elle ne doit pas oublier d’être une femme. Dans la parentalité le soin, l’organisation du quotidien et la tendresse sont relégués à la mère qui se doit d’être dévouée corps et âme à sa famille. La maternité est investie des missions sacrées de transmission de la vie, d’héritage de la vision de la mère dans les milieux religieux.
Dans les faits, si les choses ont évolué, les mères travaillent et les pères sont un peu plus présents, les mentalités ont peu progressé. Une femme ayant des enfants et travaillant sera soit soupçonnée de laisser la priorité à sa famille et donc d’être une employée de seconde zone, soit considérée comme une carriériste et une piètre mère. Pour l’homme, même si on salue sur les réseaux sociaux les pères impliqués dans l’éducation de leurs enfants, dans les faits quand le collègue est celui de son couple qui a pris son mercredi pour s’occuper des gosses, il se dit qu’« on sait qui porte la culotte à la maison » et sa virilité est mise en doute. On prête aux pères prenant le temps de s’occuper de leur enfant des qualités maternelles, comme si aimer son enfant et en prendre soin était une marque de faiblesse pour un homme.
Aujourd’hui en France le congé de naissance alloué au père est de 3 jours, 3 longues journées pour accueillir son enfant. Il est cependant possible de profiter de 11 jours calendaires supplémentaires, non obligatoires, pour ceux qui savent que l’important pour un homme viril c’est de retourner au travail. 7 pères sur 10 prennent ce congé paternel. Dans la majorité des cas lors de ce congé, le père n’aide pas beaucoup au quotidien car on sait que ce n’est que transitoire et qu’il reprendra rapidement le chemin du travail. Ces quelques journées sont alors perçues comme des vacances. L’argument qui revient souvent est celui de la gêne provoquée par une absence prolongée, pourtant si on est capable de poser un mois de congé pour des vacances d’été chaque année, devoir s’absenter un mois pour la naissance de son enfant ne devrait pas représenter un obstacle trop difficile.
Le congé maternité postnatal est de 10 semaines. Les arguments pour justifier cette différence vont du basique « un enfant a besoin de sa mère » au « mais le père n’a pas besoin de se reposer lui, ça ne sert à rien ». Peu importe l’argument, il témoigne de la méconnaissance des besoins d’un enfant et de la réalité du quotidien d’un parent au foyer. Soyez clairs : oui, une personne venant d’accoucher a besoin de repos. Mais avec un nourrisson mangeant toutes les heures, salissant plusieurs tenues par jour et une maison à gérer au quotidien, nous sommes très loin du relâchement et beaucoup plus proche du surmenage. Être deux parents pendant cette période ne paraît pas être de trop.
D’une manière assez logique c’est le parent le plus présent qui crée un lien plus fort avec l’enfant et surtout, devient le référent de sa santé, de ses habitudes et de ses soins. Le parent absent au moment où le rythme s’établit se place « naturellement » en retrait et laisse l’autre gérer par facilité.
Lors des premiers mois la création du lien familial est primordiale pour un enfant, et lorsqu’il a plusieurs parents le lien doit être formé avec chacun·e, indifféremment du genre dudit parent. On entend énormément de pères dire qu’un nourrisson n’est pas intéressant et qu’on ne peut nouer de lien avec lui, qu’un enfant est plus intéressant une fois plus grand. Ils sont évidemment sincères lorsqu’ils formulent cette impression. Comment trouver un bébé attachant lorsqu’on l’aperçoit à peine quelques instants par jour. Pour développer une parentalité active il est nécessaire d’être présent. Sans surprise quand on passe du temps avec un autre être humain un lien se crée.
En somme l’image du père est étroitement liée à celle de l’homme dans la société. Elle répond finalement aux mêmes clichés en devant rentrer dans des cases genrées bien précises. Il pèse au-dessus des têtes paternelles la même épée de Damoclès qu’au-dessus des hommes : ne pas être viril en toute circonstance revient à épouser des qualités féminines, ce qu’il faut éviter à tout prix. Quand on réfléchit à la façon dont on se construit au cours de notre vie, les expériences qui nous affectent et forgent notre vision du monde, on comprend rapidement que l’image du père joue un grand rôle dans la vision que nous avons de la masculinité.
L’allongement du congé paternité à la même durée que le congé maternité permettrait de gommer les différences dans les attentes que la société a de chaque parent. Les pères pourraient être plus impliqués dans l’éducation de leurs enfants et prendrait par la même occasion un peu plus de tâches ménagères à leur charge. Les premiers effets positifs de ce congé seraient une meilleure répartition des charges mentale et ménagère. Il existe toutefois un autre effet à l’extérieur de la cellule familiale, aussi important à prendre en compte : celui de gommer en partie le sexisme à l’embauche. Personne n’ignore que lors du recrutement, une femme qu’on soupçonne être en âge de procréer est généralement écartée sans considération pour ses compétences, car les absences engendrées par les congés maternités sont la hantise des patron·nes. Si les hommes bénéficiaient du même temps de congés que leur conjointe, les employeur·ses ne pourraient plus faire cette discrimination-là.