Du droit de résistance au devoir d'insurrection
par le collectif Collages Féministes Lyon
juin 2020
Déjà dans le droit romain existait la notion de droit de résistance avec le jus resistendi, mais sans aller aussi loin dans le temps, il nous suffit de lire le deuxième article de la déclaration des droits de l’homme[1] et du citoyen de 1789, pour trouver cette notion : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ». La résistance à l’oppression permet donc d’appliquer une présomption de légitimité à toute action brutale, d’un·e individu·e ou d’un groupe d’individu·es, contre les détenteurs du pouvoir, en cas d’asservissement ou de violations des droits fondamentaux. En tant que peuple, avoir à l’esprit l’existence de ce droit permet d’être rassuré, de savoir que quoi qu’il arrive le système démocratique remplira son rôle : protéger les droits de ses citoyen·nes sans distinction. Et si la protection de nos droits est assurée par notre constitution, la résistance n’est pas nécessaire, la simple possibilité de pouvoir résister suffit aux citoyen·nes. Nous nous trouvons alors face à une incohérence.
En fouillant un peu on constate que dans l’article 35 de la version de 1793, ce droit se précisait et devenait même un devoir : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ». On parle ici d’insurrection, non plus simplement de résister mais aussi de réagir et de lutter activement contre un gouvernement qui manquerait à ses obligations. Philosophiquement ce devoir parait évident et l’histoire est remplie d’exemples allant dans ce sens. En France nous avons d’ailleurs une fierté assez marquée à l’évocation de la Révolution Française, comme si en chacun·ne d’entre nous subsistait quelques gènes hérités directement des sans-culottes, et qu’en nos cœurs survivait la force de cette rébellion. On retrouve également ce sentiment de fierté nationale à l’évocation de la Résistance à l’occupation allemande durant le régime de Vichy, donnant l’impression qu’en France tout le monde descend d’un·e résistant·e mais que personne en revanche n’a d’ancêtre collaborateur, et que chacun·e aurait choisi de se dresser contre le régime nazi si l’occasion s’était présentée. Il est important de noter que cet article 35 disparaît dans la version de 1795, car jugé trop favorable aux révolutionnaires, et que l’insurrection est définie et réprimée par les articles 412-3 et 412-4 du code pénal, faisant donc de ce droit un crime punissable par la loi.
Il s’agit donc clairement d’une illusion de droit, avoir le droit théorique de se révolter tout en sachant que cela est interdit ne permet pas d’autre interprétation. Cette dichotomie place les gens dans une situation bancale, les empêchant tout bonnement de pouvoir s’insurger lorsque leurs droits sont bafoués. Être révolutionnaire est noble, mais seulement dans l’imaginaire, on nous encourage à admirer des symboles tels que Marianne, fièrement coiffée de son bonnet phrygien, ou encore Jean Moulin, mort en se dressant face à l’oppresseur, mais si nous passons à l’acte et descendons dans la rue pour dénoncer des lois nous devenons des délinquant·es et encourons des conséquences judiciaires.
La privation de ce droit apparaît donc comme un signal, une preuve que nos droits ne sont en réalité plus assurés, et que la démocratie, dont la fonction première est de protéger les minorités comme les majorités, s’écarte de son chemin vertueux.
Dans un monde où les grand·es leaders des mouvements de contestation, ayant permis des avancées dans le droit humain, sont cité·es en permanence et érigé·es comme modèles, même s’iels dérangeaient à leurs époques, ne devons-nous pas nous questionner sur notre obligation à exiger de nos gouvernements plus de justice ? Et si ces derniers ne respectent pas les besoins et les demandes des peuples, quelle forme doivent prendre les réclamations de la population ? Quand le contrat social, unissant un gouvernement à ses foules, est rompu par les puissants, les citoyen·nes ne sont plus tenu·es par l’obligation morale de respecter ce gouvernement. Le peuple peut donc se saisir de son droit à l’insurrection sans penser à l’illégalité de celle-ci.Aujourd’hui une vague mondiale de contestation se répand, dénonçant les violences policières, un fait incontestable, subies par des minorités depuis trop longtemps. Se dresser contre une entité violente et opprimante devrait éveiller en nous les héritages révolutionnaires et nous donner envie de scander les citations des meneurs·ses de mouvement, si souvent publiées sur les réseaux sociaux comme gage de notre conscience. Et quand, dans les médias, ces mouvements sont critiqués, quand on oppose l’ordre et les biens matériels à la vie d’une partie de la population, notre instinct devrait nous crier que nous avons aujourd’hui la possibilité d’être aussi brave que dans notre imagination.
Quand le bien-être et la vie des humains doivent-être défendus contre des entités gouvernementales la révolution n’est plus philosophique ou théorique, elle est un devoir, une obligation morale. Quand il s’agit de défendre les opprimés, la révolution devient un acte d’amour, une déclaration de guerre contre la haine.