José Revueltas : Des hiérarchies Marxistes à l'anarchisme
par Omnirath
mai 2020
Artiste, écrivain, cinéaste et journaliste, José Revueltas (1914-1976) s’est imposé comme une des figures majeures de l’anarchisme mexicain. Il a produit durant toute sa vie une œuvre riche dont les aspirations révolutionnaires ne font aucun doute, nombres de ses textes ont été rédigés en prison. D’abord proche des courants marxistes dans les années 1920, il rejoint le Parti Communiste Mexicain (PCM) mais ses dissensions s’accumulent entre ses idéaux et les dérives bureaucratiques du Parti dont il est renvoyé en 1943. Il continue de questionner les pratiques militantes de la gauche mexicaine au travers de ses romans et essais politiques jusqu'à la fin de sa vie. Intellectuel majeur du mouvement étudiant de 1968 au Mexique. Il fonda la Ligue Spartakiste Mexicaine et fut un des théoriciens du Parti Populaire Socialiste.
Le texte présenté est un extrait d'Ensayo de un proletariado sin cabeza1[1], essai critique des mouvements communistes paru en 1962 où l’auteur analyse les dérives des mouvements socialistes dans son pays et présente les facteurs d’aliénation à l’origine de leur autoritarisme.
Entre 1929 à 1934, l’Internationale Communiste apprécie de voir dans les relations sociales du monde un mouvement consistant en une « radicalisation croissante des masses ».
L’Internationale Communiste avait remarqué une telle radicalisation à la suite de la crise économique majeure qui secouait le monde capitaliste de l'époque, un fait incontestable concernant l’ordre géopolitique mondial. Ainsi, le PCM, sans se soucier des particularités que le phénomène pourrait entraîner au Mexique, exporte le concept de radicalisation des masses en un processus normatif qui doit absolument régir la nature de leur propre participation au mouvement syndical. Les grèves organisées par le PCM se doivent d'être « les plus radicales », les plus extrêmes et celles qui exigent les plus hautes exigences ; toutes les usines, manufactures et organisations syndicales sous le contrôle du PCM doivent être se mettre en grève sans exception. Le résultat attendu fut l’expulsion des communistes des syndicats où le PCM était minoritaire et ne pouvait pas défendre ses membres. La défaite et l'écrasement impitoyable des grèves dirigées par le parti fut terrible pour tout les mouvements de lutte mexicains. Cette méthode de « vérification » des prémisses militantes, devient un système de plus en plus « indispensable » tout au long de l’histoire du PCM, pour masquer la déformation de la conscience prolétarienne qui s’opère au sein du Parti. Il devient pareil à un toxicomane qui a tant et plus besoin d’augmenter ses doses pour se maintenir éloigné de sa maladie. Entre 1929 et 1934, le gouvernement mexicain lutte avec véhémence contre le PCM qui reste en grande partie un produit de la ligne sectaire prônée par le parti lui-même, considérant la révolution mexicaine « trahie » par le gouvernement lui-même et se « prouvant » cette trahison lorsque les communistes se retrouvent persécutés et emprisonnés. Alors que le problème n’est pas tant la trahison du gouvernement envers la révolution mexicaine mais plutôt les forces révolutionnaires partagées entre démocrates et bourgeois, où la bourgeoisie garde son entière puissance d’action, et par conséquent un processus oscillant dont les hésitations découlant de sa nature de classe et d’une corrélation de forces où le prolétariat n’a pas pu jouer un rôle décisif.
La même application irrationnelle, la même activité truquée, sera le destin que connaîtra au Mexique la politique du front populaire, décidée par le VIIè congrès de l’Internationale Communiste, à partir du moment même où, à sa manière, le PCM l’exécutera. Une ressource tactique de lutte des classes n’apparaît donc pas et la politique de front unique de certaines classes, sous la direction du prolétariat, dans la lutte contre le fascisme et la guerre ne sera qu’une simulation grossière de cette politique dans laquelle l’opportunisme rampant conduit le PCM à la corruption et à la perte la plus complète de l’autorité et du respect des masses. Il serait extrêmement fastidieux d'énumérer la liste des erreurs et des balancements, opportunistes et sectaires, à droite et à gauche, que le PCM a encouragé tout au long de son histoire. Mais ces hauts et ces bas, ces virages de cent quatre-vingts degrés d’une position à l’autre, cette compromission répétée à l’erreur constante, posent en eux-mêmes une question objective ; sans les moindres préjugés et sans la moindre envie de condamner. Comment est-il possible que le parti dans son ensemble, sa masse et ses membres, acceptent cette situation restant passifs, et laissent ces personnes profiter des logiques de parti jusqu'à la décomposition de la lutte politique en un sectarisme,une orthodoxie marxiste ?
La réponse réside dans deux circonstances; l’une, les expulsions périodiques des parties dissidentes, et l’autre, la dogmatisation de l’esprit même des membres de la partie la plus extrême qu’il fini par devenir un esprit religieux, non critique et dont le fonctionnement n’obéit plus qu'à des stimuli purement magiques.
Le Parti communiste mexicain arrive à ce point du processus de déformation de sa conscience selon des lois inhérentes aux structures classiques de hiérarchies qui elles-mêmes favorisent inévitablement le développement du phénomène, jusqu'à le transformer en un système d’auto-aliénation à chaque fois plus hermétique et incassable, dont les exigences « vitales » aboutissent à l’expression pratique d’un « besoin » qui représente une faillite historique et la faillite définitive du Parti Communiste Mexicain, qui ne peut être possible que si l’on reconnais que ce système nécessite, pour continuer à se pérenniser, un parti affaibli, enkysté et nécessairement déconnecté des masses.
Ce système d’auto-aliénation, dont les bases sont établies par le PCM au « tournant » de 1929 (le virage lui-même, en tant que méthode de correction des « erreurs » des militants, faisait désormais partie intégrante du système). Il acquiert son apparence totale, sa conformation complète, après la dissolution de l’Internationale Communiste. Ce système de décadence, qui plonge le parti dans un état d’anesthésie politique et d’agnose théorique, qui se nourrit de ses propres faiblesses, de l’augmentation délibérée de l’inaction mentale de ses membres, de l’esprit religieux et du manque de contact avec les masses, sous l'égide du chef du parti de 1940 à 1960 Dionisio Encina. Nous ferons donc référence à l'encinisme, comme le phénomène de démoralisation suprême et de dispersion du parti. Bien que l'encinisme soit le résultat de la déformation de la conscience des travailleurs et de la non-existence historique du parti prolétarien de classe dans notre pays sous le contrôle du PCM, il ne peut plus être considéré en aucune façon comme un courant politique (malgré son introduction dans les directions actuelle du PCM), même s’il s’agit d’un courant politique déformé et perverti. L'encinisme représente historiquement au Mexique une dégénérescence lumpen*-prolétarienne du parti qui aurait pu être celle de la classe ouvrière. Jusqu'à l’apparition de l'encinisme, le dogmatisme avait nécessité, au sein du PCM, l’abolition de la démocratie interne, l'écrasement de la lutte de tendances alternatives, les expulsions périodiques des partis dissidents et une certaine vérification, même si elle était partielle et truquée d’une ligne politique que le parti a fini par accepter comme juste jusqu'à ce que le contraire soit décrété. Mais ces mêmes éléments, si absolument indispensables et obligatoires pour l’enracinement du dogmatisme, sous la direction d’Encina perdent toute ombre de contenu politique et deviennent les manœuvres personnelles les plus grossières et les plus impudentes au sein de l’organisme précaire auquel le Parti communiste Mexicain s’est réduit. Durant l'encinisme, le PCM arrive à avoir le nombre le plus bas de membres, et bien que ce chiffre soit délibérément caché depuis longtemps, on finit par apprendre qu’il n’atteint pas les deux mille membres dans tout le pays. Cette situation organique apparaît comme un produit typique et révélateur de la nature sociale de l'encinisme, une nouvelle catégorie de chefs de parti moyens, qui jusque-là n’avaient pas fait leur apparition dans des conditions aussi caractéristiques, le politicien professionnel. Dans des conditions aussi particulières et révélatrices, oui, ce professionnel n’a pas de base militante (membres du parti) à laquelle consacrer tous ses efforts, il n’y a pas de tels membres ou une activité réelle qui justifient là le dévouement de tout son temps au travail politique. Si ce politicien professionnel consacrait à une activité politique, qu’il n’effectue d’ailleurs pas, les huit heures de la journée que nécessiterait son travail à l’usine ou à tout autre moment, le parti n’en voudrait pas le moins du monde Avec cette soustraction, nul militant indépendant ne ressentirait aucun dommage dû à son absence.
Malgré cela personne ne prétend nier la nécessité pour un parti, qui plus est qui cherche à représenter le peuple, d’avoir un certain nombre de militants professionnels. Ce qui est étonnant, c’est que dans un parti dont le nombre de membres atteint à peine deux mille dans tout le pays, il y a deux ou plusieurs dirigeants professionnels dans chaque comité d'État, et à Mexico, il y a comme professionnels tous les membres du comité de district ou sa grande majorité. Pourquoi donc la direction nationale du PCM, sans doute consciente de la situation et des besoins du parti, n’a pas été simplement supprimée vu le nombre croissant de leaders professionnels ? La réponse est très simple : aussi stérile et inutile qu’est l’activité de ces professionnels, cela donnerait toujours l’impression que « quelque chose se fait », que le PCM comptait avec des organisations sur tout le territoire et qui, bien que faible, était un parti vivant et capable de se remettre, tôt ou tard, de ce léger moment de faiblesse. Le PCM, sous l'encinisme, se transforme en quotidien La Voz de México. Toutes les forces du PCM sont consacrées à l'édition quotidienne de La Voz, dans une tâche étonnante qui devient soudain une fin en soi. Peu importe ce que dit La Voz de México ou à qui elle s’adresse, ce qui compte c’est qu’elle ne cesse de sortir quotidiennement, jour après jour, sans ménager aucun effort. C’est vrai, en fait. La Voz paraît et également quotidiennement, les exemplaires de l'édition complète (données révélées lors de la conférence des communistes d’août-septembre 1957) restent dans les imprimeries, sans distribution. Bien qu’elle soit affichée tous les jours, avec une ponctualité religieuse dans les bureaux ou résidences des représentations diplomatiques des pays de l’Internationale. À l’image de l'encinisme, La Voz témoigne d’une éloquence écrasante dispensée de la moindre action.
On nous dira alors que le XIIIè Congrès du PCM de 1960 a représenté un certain « dépassement » de l'encinisme. Rien de plus faux. Le mouvement d’Encina a simplement donné la position de leader à d’autres cadres du parti, en échange de la liquidation (encore identique à celles du passé) de la critique qui, au sein du PCM, représentait une des dernières opportunités pour la classe ouvrière de s’objectiver au sein du Parti Communiste Mexicain sur fond de changements majeurs de ses racines et de la production industrielle mexicaine. Cette tâche ne peut dès lors plus être effectuée à l’intérieur du Parti Communiste Mexicain et l'encinisme actuel, d’un certain point de vue, a rendu un grand service à la cause des travailleurs en montrant que la conscience prolétarienne, socialiste, marxiste-léniniste n’est plus et ne peut être trouvé au sein du Parti Communiste Mexicain. Cependant, ce problème doit être compris sans que le dogmatisme obscurcisse ses termes avec des notions irrationnelles, antimarxistes et anti-scientifiques. Il existe une formule quasi-mystique et irrationnelle où le dogmatisme est consacré agissant comme principe directeur réglant l’attitude des communistes dans les moments difficiles de la vie du parti. Cette formule est la suivante :