Sur la mouvance libertaire mondiale aux USA
par Crabouibouif
février 2020
Avant-propos
Des USA à Paris, de Santiago à Athènes, l’anarchisme essaie de reprendre des couleurs depuis les récentes explosions populaires internationales. Il semble important de noter que le mouvement anarchiste prend différentes formes, surtout en traversant l’océan. Cette série d’articles tentera de donner un point de vue global et général sur la situation actuelle des libertaires dans le monde.

Photographe d'un antifasciste par antonchalakov
Aux USA, une ambiance semblable à celle de la guerre froide prend forme. Non pas contre un pays en particulier mais entre plusieurs parties de la population. Dans les états républicains, beaucoup de personnes sont hostiles au socialisme, et nombreux sont ceux qui agissent dans la rue pour le combattre. L’aile libérale du parti démocrate et les conservateurs du parti républicain se partagent le système électoral tout en conservant une rivalité qui n’a de sens que sur un plan symbolique. Avec les élections présidentielles américaines de 2020, notons cependant la scission progressive du parti démocrate entre une aile « radicale » (démocrate-socialiste) aux politiques assez exceptionnelles pour le cadre politique américain, incarnée par la figure de Bernie Sanders, et une aile centriste, incarnée par des individus comme l’ancien second d’Obama, Joe Biden, dont la politique tente tant bien que mal de « réunir les américains » en se rapprochant autant que possible d’un parti républicain ayant largement entamé un virage vers la droite dure. De leur côté, les communistes révolutionnaires et anarchistes mènent le dur combat du militantisme antipolitique, refusant évidemment de prendre part au gouvernement. L’anarchisme américain est lui aussi divisé (comme nous le verrons plus tard), et il a du mal à s’implanter de la même manière qu’en Europe. Dans un pays si vaste et autant ancré dans des valeurs traditionnalistes, il prend énormément forme à travers le mouvement antifasciste. En effet depuis les événements de Charlottesville (2017) le combat est de plus en plus violent entre les différentes oppositions. Les divers groupes fascistes mènent de grandes campagnes de confrontation, favorisées par la confusion générale, les médias et le gouvernement. Ils parviennent à faire porter à de jeunes universitaires la croix celtique ou/et le drapeau des confédérés. En ligne, prêt au combat, armé de M16 et de boucliers la « droite alternative » (« alt-right ») fait front commun pour écraser la « vermine communiste ».

Des fascistes se protégeant du soleil avec du plexiglas
Le cas des USA
Depuis la France, les libertaires américains nous inspirent de par leur radicalité, en décembre dernier, des queers sabotent des véhicules de la compagnie GoPuff pour protester contre l’espionnage des employés. Alors qu’en novembre déjà, en solidarité avec les travailleurs Amazon en grève, des sabotages de masse avaient eu lieu sur plusieurs chaines de magasins. Des centaines d’actions de ce genre sont réalisés par des dizaines de groupes locaux, nous tenterons ici de nous focaliser sur plusieurs points: l’antifascisme américain, les différentes organisations de la gauche sociale, l’anarchisme de droite et l’influence des anarchistes sur internet.
Deux principales critiques existent contre le mouvement antifasciste américain. Ils sont principalement critiqués pour ne faire que des actions à court terme, focalisées sur une démonstration de force. Cela favoriserait par exemple une mise en avant trop importante de diverses provocations pouvant être détournées par des opposants.
Pour pallier ces problèmes d’organisation, de nombreux groupes anarchistes locaux se forment en groupes d’affinités.

Photographie par par Chip Somodevilla
Comme on peut le lire dans “Affinity Group: The Essential Building Block of Anarchist Organization”, les groupes d’affinités permettent une organisation sécurisée à la hauteur des problèmes que peuvent rencontrer les militants américains, soit harcèlement ou agression, voire la tentative de meurtre. Le groupe d’affinité est composé de personnes de confiance, partageant des idées similaires, dans le but de prendre soin des uns et des autres.
Alors que cette manière de faire est principalement utilisée par le milieu autonome français et reste assez critiquée pour avoir trop souvent mis de côté les prises de décisions collectives (avec les autres organisations), l’anarchisme américain tente d’en faire l’une de ses armes principales.
De cette façon certains groupes anarchistes se retrouvent aujourd’hui décentralisés, favorisant leur volonté à poursuivre une route « révolutionnaire » et d’action directe.

Figure 4 : NEW YORK, NY - 1 MAI: Les anarchistes mènent une marche à travers Greenwich Village le 1er mai 2018, à New York.(Photo par Andrew Lichtenstein / Corbis via Getty Images)
RAM – IWW – BRRN – WSA – ALL – DSA
Le RAM ou Mouvement révolutionnaire abolitionniste est l’un de ces groupes à tendance autonome. Depuis quelques années ce mouvement grandi et porte les idées du communalisme libertaires, du féminisme, de l’anticapitalisme, de l’antifascisme, l’anticolonialisme et de l’internationalisme. On peut énumérer leurs principales revendications : l’autodéfense populaire, la mise en place de conseils de quartier et d’une justice sociale et révolutionnaire, l’abolition du genre, la propriété par l’usage, l’expropriation et une économie coopérative.
Le RAM est donc un réseau révolutionnaire anarchique qui voit en l’autodéfense locale une clé à l’organisation nationale, renforçant l’organisation de bas en haut. Organisant de multiples rencontres avec les révolutionnaires Kurdes, en parallèle les militants de la RAM proposent des formations militaires à toutes les personnes intéressées.
L’organisation a donc la volonté d’implanter des conseils de quartier le plus localement possible pour faciliter une participation plus importante. Les habitants y participeront pour prendre des décisions à propos de la vie de tous les jours. Des produits de première nécessité y seraient distribués équitablement.
Aujourd’hui, l’organisation recrute énormément et revendique une présence à New York, Philadelphie, North Bay, Elm City et Inland Empire. Les militants participent énormément aux diverses manifestations américaines et prennent très à cœur la lutte anticolonialiste, notamment à travers un slogan « Burning down the american plantation » très utilisée.
Demain, la RAM a pour volonté de renforcer sa base, de développer un réseau d’aide à ceux qui fuient l’incarcération, la déportation ou la violence des fascistes locaux. Un réseau autogéré et anarchiste proposant ainsi un toit et de la nourriture aux plus démunis.

L’IWW, fédération et syndicat historique principalement anarchiste et présent à une échelle internationale, reprend de l’ampleur depuis les années 2000 en Amérique. Aujourd’hui cette grande organisation compte 3.800 membres américains contre une centaine en 2001 et 5.800 à l’internationale. L’IWW est une organisation syndicale qui revendique la méthode du « one big union » dans le but de combattre le capitalisme – créer une union unique des travailleurs à grande échelle pour montrer un front solide - et mettre en place une démocratie dans les lieux de travail pour faciliter l’organisation libertaire locale, la révolution ou la grève. L’IWW compte certains auteurs et théoriciens célèbres tels que Noam Chomsky, l’écrivain libertaire mondialement connu, et des artistes tel que Tom Morello ou Harry McClintock. Aujourd’hui l’organisation est composée de branches militantes différentes et aide certains syndicats lors des grèves. Aide mutuelle et solidarité sont les maîtres mots.
Pour ce qui est des structures militantes anarchistes, on note une certaine activité qui se développe avec la Worker’s participent énormément aux diverses manifestations Solidarity Alliance - WSA (anarcho-syndicaliste) qui semble se réactiver lentement, et la Black Rose Anarchist Federation (fondée en 2013 par la fusion d’un grand nombre de groupes disparates - elle adhère au plateformisme, communisme libertaire et anarcho-syndicalisme) qui est désormais très active sur le terrain et en ligne. Plus aux marges, l’Alliance of the Libertarian Left (ALL, qui regroupe les « libertariens de gauche ») semble toujours active mais a perdu de son élan, en partie probablement du fait de ses difficultés à s’implanter dans un milieu militant et se réservant ainsi aux activités strictement théoriques.
L’organisation politique démocratique-socialiste américaine, DSA, semble prendre de l’ampleur depuis les années 2000 parallèlement à la montée des autres forces de gauche. Contrairement à de multiples forces socialistes européennes, la DSA s’engage dans l’antifascisme, l’anti-impérialisme, l’anti sexisme et bien d’autres luttes plus radicales. L’organisation compte aujourd’hui 57.000 membres. On reste bien loin des 44 millions d’adhérents au parti démocrate, mais c’est sans compter la propagande de masse effectuée aux USA pour contenir tout mouvement réellement progressiste et révolutionnaire. On note un passage assez fort de 6.500 membres en 2016 à 49.000 en 2018, en corrélation avec l’élection de Donald Trump à la présidence américaine. Le progrès de la gauche démocrate-socialiste a permis une représentation dans le congrès américain avec par exemple Alexandria Ocasio-Cortez. On notera aussi que la victoire et la montée de la DSA reste positive dans un pays aussi conservateur et libéral que les USA.
Il faut savoir que l’anarchisme reste très apprécié par les Américains, qui voient en l’anarchisme la liberté de posséder, d’acheter et de pratiquer ce que l’on veut. Il va de soi que nous ne pouvons pas parler de l’anarchisme en Amérique sans passer par la question du libertarianisme et autres défenseurs de la propriété privée, du marché libre et absolu.
Le nombre de défenseurs et d’organisations ultra-capitalistes se compte par centaines, ce mouvement est présent dans la rue (aux côtés des fascistes) et sur le net. Ces organisations ont grandement aidé au développement de l’alt-right par leur manière de diaboliser la gauche activement. Malgré une progression importante de ce mouvement, il faut noter qu’il touche principalement une partie privilégiée de la société et a du mal à s’implanter dans les quartiers défavorisés. Résultat logique du flirt entretenu par un certain nombre de libertariens avec la droite raciste et prêche une idéologie qui justifie la pauvreté des individus majoritairement par leurs actes, alors qu’une grande partie de la population américaine croule sous les dettes à cause des prix trop élevés du marché.

Capitalistes et nazis, amis pour la vie, photo par Anthony Crider
Ces différents groupes libertariens tels que Liberty Hangouts, les Oath Keepers ou les courants paléolibertariens, « objectivistes » ou ceux hoppéens – voire le courant NRx, « néo-réactionnaire », qui voit dans la démocratie un obstacle au marché - suivent la tendance libérale de défendre la «paix, prospérité et propriété privée» tout en soutenant le statu quo, des politiques réactionnaires voire alimentent activement la violence fasciste, anticommuniste, anti-immigrante. Ces groupes n’ont pas forcément d’importance d’un point de vue idéologique. L’Amérique du Nord est un exemple de premier plan en ce qui concerne le confusionnisme idéologique, présent dans la rue (aux côtés des fascistes) et sur le net. l’anarchisme n’est malheureusement pas épargné par la dégénérescence du pays.

Capitalistes et nazis, amis pour la vie, photo par Anthony Crider
Pour finir, youtube permet au mouvement libertaire de prendre de l’importance dans la sphère anglophone depuis la crise politique de 2016, notamment à travers le « BreadTube » (“Bread” signifie “pain”, souvent interprété comme une référence à la “conquête du pain” de Kropotkine) des youtubers de la gauche radicale : les plus connus sont Contrapoints, Shaun, Three Arrows, BomberGuy, PhilosophyTube – qui gardent des sujets assez larges et ne sont pas nécessairement des anarchistes, mais gardent une certaine sympathie pour les thèses libertaires - on note aussi des youtubers strictement anarchistes qui gagnent beaucoup en popularité ces derniers temps, comme ThoughtSlime, NonCompete ou encore (le très controversé) Vaush.
D’autres exemples comme FaradaySpeaks ou PigPuncher (streameur) sont d’anciens partisans de « l’alt-right » reconvertis en « Breadtubers » au cours des années 2017-18-19 en contact avec les vidéastes de gauche. Leurs reconversions ont eu un certain impact dans les milieux du youtube politique américain. Aux USA, il est intéressant de noter qu’une grande partie des mouvements politiques possèdent un certain nombre de streamers ou youtubers, ce qui n’est pas forcément le cas en Europe – ou du moins ils possèdent une base médiatique, sur internet, importante. Une grande partie de ces vidéastes partagent et travaillent des formats de discussions ou de débats où l’interlocuteur peut discuter et interagir avec les spectateurs. D’autres travaillent avec les organisations, comme Anarchopac qui parfois collabore avec le BRRN.