Le crépuscule de l'action à l'ère du couvre-feu
par Omnirath
Novembre 2020
Le 11 octobre le Parlement britannique s’est réveillé sous un air familier et menaçant, connu de tous en Grande-Bretagne un ostinato rappelant à certains leur première éducation à la musique symphonique. Mars s’annonce et avec lui l’incertitude des tragédies à venir. Un poème riche de sens, cristallisant toute l’appréhension de Gustav Holst à l’aube d’une guerre jamais vue jusqu’alors. C’est ce sentiment que les artistes ont voulu rappeler à leur élite politique, leur montrer malgré les protocoles sanitaires en rigueur, le péril de la culture qui comme tout secteur, s’est retrouvée particulièrement affectée par les retombées économiques d’une crise qui n’en finit pas de finir.
La population française s’en est aperçue pendant la crise sanitaire, le manque d’investissement dans les infrastructures publiques est flagrant. L’exil fiscal, l’importation de pratiques salariales aux limites de la légalité encouragée par les syndicats patronaux et les nouveaux acteurs de l'économie de services comme Uber sont des problèmes majeurs que la classe politique ne peut vaincre. Et les exemples sont nombreux, exonérations de charges en masse comme c’est le cas pour les CDI première embauche dont l’effet indirect est de siphonner les comptes sociaux tout en précarisant les apprentis aux protections sociales minimes et aux salaires maigres. Ou encore le Crédit d’impôt recherche subventionnant théoriquement l’innovation mais qui s’avère détourné par nombre d’entreprises comme Nokia qui avec ses 220 millions de l'État annonce la suppression de 1200 postes.
Autre exemple des dysfonctionnements du marché de l’emploi, le taux de réussite du baccalauréat de 2020 va surcharger les facs et formations pour lesquelles M. Blanquer annonce des prolongations de cursus dans le but de délayer les arrivées de personnes qualifiées ; mais la formation sans création de postes ou de minima sociaux est vaine. Nous connaissons actuellement une grave crise de la demande et sauvons l'économie, ses impacts sur la vie de chacun passeront alors par sauver la démocratie et ses institutions. La rigueur budgétaire détruit l’emploi, précarise des milliers d'étudiants, fragilise le tissu social et cristallise les fractures.
Le couvre-feu présenté comme dernier rempart face au covid souligné par le ton martial d’E. Macron et de ses ministres s’est avéré inefficace au mieux et n’empêchera sans doute pas un reconfinement ultérieur. Il est à rappeler que Mr Roux de Bezieux du Medef était il y a deux semaines très défavorables au travail à distance “Le télétravail ne doit pas devenir la norme” rejetant ainsi tout pouvoir normatif de l'état sur les conditions de travail de millions de Français; influençant l’ensemble des politiques de santé publiques. Et quid des millions de précaires dans les banlieues que le couvre-feu condamne à la seule activité de production ?
Cette réduction d’une société à ses fonctions utilitaires plus ou moins voulue n’est pas tenable dans le temps et le caractère systémique des inégalités se voit aussi dans l’espace. Il est criant en Grande-Bretagne où le Grand Manchester, cœur de la vie ouvrière depuis plus de cent ans et particulièrement touché par l'épidémie se voit reconfiné et ses aides divisées par trois par le gouvernement des Tories (conservateur).
Les banlieues de toute l’Europe portent les traces des pratiques verticales du pouvoir, la pauvreté en France se lit dans toutes les statistiques, tous les indicateurs en Seine-Saint-Denis, le taux d’occupation des lits de réanimation et de 78% contre 57,62 % dans les Hauts de Seine. Un pays appauvrit par le chômage, l’abandon de l'État et le développement des inégalités en entreprises voient nécessairement sa croissance stagner s’il n’augmente pas le pouvoir d’achat des classes précarisées. Il faut permettre à la demande de croître pour éviter la crise non pas assouplir les droits des entreprises sur les salariés. L’offre était déjà trop contrôlée par les intérêts du privé. Si le crédit permet de temporiser pendant un temps la situation il finit par s’effondrer et l'économie tout entière avec et même si les Français ont épargné pendant le confinement peu de foyers auront la possibilité de la réinvestir. La stagflation (croissance nulle et hausse des prix) est devenue la norme des sociétés occidentales depuis 30 ans, la tache aveugle de notre siècle.
La Première Guerre mondiale et les sanctions infligées par les alliés accentuées par la crise de 1929 (dont les règles monétaires prises édictées en conséquence ont été abolies par Reagan en 1986) furent le terreau de la montée du fascisme en Allemagne, et dans toute l’Europe. L'établissement d’un pouvoir fort, totalisant et centralisé augmenta les capitaux de l'État Allemand en attirant les investisseurs étrangers à la recherche d’une main-d’œuvre corvéable. La production nationale dans les manufactures explosa aux dépens de la force de travail. Et plus tard par la conquête d'États souverains en exploitant ces nouvelles ressources et taxes. L'économie s’auto-alimente en concentrant le capital autour de quelques milieux sociologiques détenant alors une pression politique et médiatique dont le poids est proportionnel à l’ampleur des réseaux contrôlés.
Le capitalisme s’accommode bien d’un régime autoritaire et nationaliste étant de nature vertical et inégalitaire, la récente crispation du débat à l’extrême droite est à prendre avec le plus grand des sérieux entre : l’abandon de la rhétorique pacifiste, l’armement idéologique des plateaux de télévision – par des ministres prompts à déclarer les musulman·es comme séparatistes, qualifiant quiconque tente s’oppose à leurs vues d’“islamo-gauchisme”, une étiquette infamante issue de l’extrême-droite et à minimiser des actes ouvertement racistes à l'égard des minorités – ou encore l’abandon du questionnement sur les problèmes des services de renseignements qui n’ont pas pu agir à temps pour sauver un enseignant de la mort, tué par une personne déjà surveillée alors qu’il avait précisé son acte une semaine à l’avance[1].
L’anathème est donc lancé sur les musulmans dans leur ensemble et tout respect à leur égard, principe laïc élémentaire dépassant le cadre de Charlie, se voit noyé par la parole guerrière de la sphère éditocratique qui voit un ennemi intérieur dans chacun d’eux.
Une population éduquée et appauvrie est prompte à la révolte seul moyen restant pour amener à une considération politique de son action, comme l’ont montré les mouvements pour le climat, Black live Matter, gilets jaunes, et autres mouvements sociaux avant covid. Or des amphithéâtres plein et une société sans idéaux ni débouchés constituent des facteurs majeurs poussant le peuple à se politiser et s’organiser de lui-même, pour lui-même imposant au débat politique ses thématiques en dehors des paniques morales et rhétoriques islamophobes. Ajoutons que toutes les études sociologiques sérieuses tendent à montrer qu’une exposition des groupes sociaux les uns aux autres dans une logique de découverte des particularités de chacun tend à diminuer les violences inter-ethniques, une attitude qui devrait normer les rapports sociaux que ce soit au travail par l’accès à des postes constructifs comme c’est le cas en Allemagne pour les personnes issues de l’immigration. Mais aussi dans l’espace avec une mise en commun des intérêts de tous que ce soit dans la gestion du cadre de vie ou des services publics.
Un pays ne peut se pérenniser avec un chômage à deux chiffres qui frôle les 25%1 pour les jeunes de banlieue où se forme une véritable accrétion de la pauvreté autour des grands centres urbains comme le montre la carte ci-dessus.Il ne reste plus qu'à espérer une sortie la tête haute pour les véritables démocrates d’Europe et non un défilé de chemises noires.
Voir aussi :
The Tories have treated Manchester as callously as they did the miners - The Guardian
En Île-de-France, la pauvreté s’est intensifiée dans les territoires déjà les plus exposés - INSEE
Notes et références
1) « Professeur assassiné. Le renseignement avait pointé les tensions liées au cours de Samuel Paty » - Ouest-France, publié le 18/10/2020 : https://www.ouest-france.fr/faits-divers/attentat/professeur-assassine-le-renseignement-avait-pointe-les-tensions-liees-au-cours-de-samuel-paty-7019686